Transgression
« C’est la première fois que je n’ai pas de mots pour décrire la fin de mes vacances », pense Ana, attablée face à une Bianca dont les yeux agrandis par la curiosité attend la suite de son récit. C’est tout simplement inimaginable. Ana se demande même si elle n’a pas rêvé. Mais non, des signes bien réels de ce qui a eu lieu la veille en témoignent sans aucun doute possible.
« Je suis moi et, en même temps, je ne le suis plus, se dit-elle. Ma laideur et sa beauté m’ont-ils ouvert une porte sur une façon différente de voir le sexe ? »
Elle a une impression déconcertante de vivre une sorte de transgression de codes sociaux bien établis : d’un côté, les beaux couchent ensemble et s’aiment et de l’autre les laids font pareil. S’il y a des ponts entre ces deux groupes, c’est surtout parce qu’une femme jeune et belle couche avec un vieux moche pour son argent ou son pouvoir, les deux ensembles parfois. Mais une jeune moche sans argent comme elle, avec un jeune et bel homme comme lui, qu’est-ce que cela peut signifier ?
Plus que l’événement et l’intense jubilation qu’il a suscité en elle et apparemment chez lui, ce sont plutôt ses propres repères qu’elle a perdus. Le monde s’ordonne tout à coup autrement comme si le regard masculin se réinventait et qu’elle, Ana, devenait enfin visible. Cela n’excluait pas pour autant une peur incontrôlable, peur que le mirage disparaisse comme il est apparu sur ce bout de plage. Mais, même s’il disparaît un jour, il n’en demeure pas moins que ce moment a bel et bien existé et, ça, personne ne pourra le lui retirer. En soi, c’est irremplaçable. Elle ne considérera plus jamais le sexe et l’amour de la même façon.
— Et alors, s’impatiente Bianca.
— Et alors, rien finalement, conclut Ana. Rien, vraiment rien qui vaille la peine d’être raconté.
