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Isabelle et Rodolphe

Isabelle

   Ses doigts fébriles déchirèrent l'enveloppe. Enfin, Rodolphe lui répondait ! Elle déplia précautionneusement les deux feuillets et se mit à lire. Plus elle avançait dans sa lecture, plus ses sourcils se fronçaient donnant à son charmant visage des airs d'ours mal léché. « Ce n'est pas possible ! » lâcha-t-elle enfin d'une voix que l'exaspération rendait criarde. « Bérangère ! » appela-t-elle impérativement. Une fois sa sœur à côté d'elle, elle lui tendit les deux feuillets et lui enjoignit de les lire.

C'est vraiment beau, commenta cette dernière au bout de quelques minutes.

Tu te moques de moi ou quoi ! Des grains de sables, des étoiles innombrables, l'air qui est le même pour lui et moi, l'eau du puits qui... D'ailleurs, qui a encore un puits aujourd'hui, tu peux me le dire ? Et ce feu au fond de nous qui nous embrase l'un et l'autre ! Mais où a-t-il la tête ?

Voyons Isabelle  ! C'est tellement... tellement romantique...  Moi j'aurais adoré recevoir une lettre comme celle-là. Qu'est-ce que tu lui reproches ?

Fin de soirée, 2017

Bérengère, je te rappelle que lorsque  j'ai écrit à Rodolphe, il y a plus de deux semaines, ce n'était pas pour qu'il m'envoie un poème langoureux. Je voulais juste savoir si pour la réception de notre mariage, il voulait un buffet campagnard ou un 5 à 7 urbain ! Et merde, il ne rentre que dans dix jours… Impossible de le joindre dans son foutu bled paumé, tu le sais.

—  Alors ?

Ce sera un 5 à 7 urbain. Si cela ne lui plaît pas tant pis. Parfois, je me demande ce que je fais avec lui. Après tout, il y a des milliards d'autres humains !

Rodolphe

  Allongé dans herbe douce, Rodolphe réfléchissait. Son esprit l'entraînant inexorablement vers des pentes dangereuses, il finit par se redresser sur un coude et se contraignit à ramener son attention sur ce qui l'entourait. Les fougères en bordure du bois frissonnaient agitées par un soupçon de brise, les sillons bien tracés du champs voisin s'alignaient sans fin en une symphonie de verts et de bruns et le ciel limpide étendait son immensité sur ce petit coin si cher à son cœur.

   Tout à coup, avant même de la voir, il entendit la trille d'une alouette. Il pensa aussitôt à Ronsard : « Tu fais en l'air mil discours... En l'air des ailes tu frétilles, tu babilles et contes au vens tes amours... »*  Un douloureux soupir s'échappa de sa poitrine sans qu'il en eut même conscience. Isabelle... Il avait attendu avec une telle impatience sa réponse. Et que lui avait-elle écrit ? Des mots gravés en lettres de feu sous son cuir chevelu : « Rodolphe, c'est quoi cette histoire de grains de sable et d'étoiles innombrables ? Ce n'est pas avec ça qu'on va nourrir nos invités à la réception du mariage ! Je me demande parfois où tu as la tête... Et le cœur ! As-tu pensé à tout ce qu'il me faut organiser ! Apparemment non. J'ai donc pris une grande décision, que cela te plaise ou non, ce sera un 5 à 7 urbain. J'espère au moins que tu auras l'obligeance de ne pas revenir sur ma décision. »

   Rodolphe découragé se recoucha dans l'herbe, ferma les yeux et récita mentalement : « Je vis toujours en tristesse pour les fiertés d'une maitresse qui jour et nuit allonge la longue trame de mes maux... »*

* Ronsard, Ode à l'alouette.

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